On avait dit cinq jours.

On avait dit cinq jours. Puis une semaine, pour voir. Puis on organise un festival, tu veux nous faire les photos ? Puis… tu vas pas partir maintenant quand même, t’es bien installée là ! Et t’as pas trop avancé sur ton reportage.

On avait dit cinq jours, comme on dit « je reviens tout de suite » sans savoir vraiment où on va. Pour le coup, et pour une fois, je savais où j’allais, pas comme la tripotée de voyageurs paumés que j’avais pu croiser jusqu’à présent. Un jour par ci, trois par là, ils cherchent, ils fuient, ils essayent. Mais ils repartent. 

Remettons les choses dans leur contexte: le lendemain de mon passage alcoolisé au Malbord, j’arrive à Cap au Renard, et plus précisément sur le site du Hameau 18 et de la Coop du Cap, pour passer quelques jours sur place. Dans la tête; reportage multimédia photo/son/vidéo sur les initiatives alternatives en Amérique du Nord. Mais si, j’vous en ai parlé, peut-être pas ici parce que le boulot c’est pas tellement le propos, mais je me souviens avoir pitché avec plus ou moins de réussite une bonne centaine de fois avant de partir et aussi sur la route. Le Hameau 18, c’est donc mon premier arrêt tournage/reportage photo, et un peu wwoofing tant qu’on y est. Koitesskeucé le wwoofing (vous vivez dans une grotte ou quoi ?) ? Du bénévolat contre hébergement/bouffe sur un temps donné, à la base dans des fermes bios, étendu à toutes sortes d’organisations avec HelpXWorkaway et autres. Et comme j’aime bien contourner les barrières à vaches, autant ne pas passer par ces sites-là et voir direct sur place ce qui se passe.

Me voilà donc au Hameau 18. L’accueil est super chaleureux, une quinzaine de personnes habitent en collectivité sur un grand terrain et sont toutes très occupées à leurs activités respectives. Pas le temps de s’ennuyer, il y a toujours un coup de main à donner quelque part. Si bien que je me laisse rapidement prendre au jeu et oublie quelque peu le reportage photo… Pour un temps. Temps qui est passé bien trop vite. C’est fou comment je me suis sentie direct à la maison. Après seulement deux semaines sur la route, me voilà de nouveau sédentaire temporaire. J’en ai profité pour faire plein de trucs sur lesquels je ne me serais pas jetée d’habitude, mais qui dans ce cadre là m’ont bien fait tripper.

Commençons par du pesto de roquette. Vous connaissez mon incapacité culinaire notoire ? Elle est, pour une fois, restée au placard. Huit bocaux plus tard, c’est parti pour les tartines !

Passons au jardin. Désherbage, débroussailleuse, re-désherbage chirurgical en slalom entre des petites pousses de carottes, cueillette de radis/têtes d’ail/betteraves/kale, élagage dans la forêt, re-élagage dans les framboisiers (option marche arrière en quad sans renverser la remorque, y’a du progrès), et après j’ai oublié. Demandez donc aux légumes, ils ont pas plus de mémoire que moi.

Chantier ? Oui oui oui ! Quand il s’agit d’aider, même rien qu’un tout petit peu, à la construction d’une maison écologique mi-earthship/mi-traditionnel canadien en bois, y’a toujours quelque chose à apprendre. Et, accessoirement, à filmer.

Bien sûr, comme d’après les journaux de la ville on est chez les granots, on a fait des trucs de granots. Genre un feu qui déconne pas…

Ou de l’art éphémère dans le bois…

Ou une sortie théâtre pour voir la dernière pièce de la troupe qui a élu domicile au hameau…

Ou une séance bronzette sur la grève entre woofeuses, l’occasion de découvrir que les Canadiennes ont une peau de phoque assez épaisse pour aller se baigner dans l’eau glacée du Saint Laurent. J’suis passée pour une frileuse à juste tremper les papattes.

Et comme, je le répète mais on sait jamais qu’il y aurait des gens de la ville qui lisent mes conneries, on est chez les granots, et bé on fait caca dans la sciure. Oups, pardon, le brin de scie !

J’ai même failli récupérer un passager clandestin. Une petite tornade qui du haut de ses cinq ans, m’a demandé d’un air très sérieux, le jour de mon arrivée : »Et toé, où c’que tu l’as pogné c’t’accent ? ». Puis qui a décidé que je le garderai pendant que sa maman irait faire une course. Vous pouvez vous planquer avec vos BAFA, j’ai passé l’option Théo.

Je vais pas lister exhaustivement tout ce qui était faisable sur le terrain, mais autant vous avouer qu’en grattant une piqure de moustique sur mon bras l’autre jour, j’ai trouvé autre chose d’un peu plus gros; un muscle. Pour de vrai. A un endroit inconnu au bataillon depuis quelques années. En soulevant la manche de mon t-shirt pour constater l’exploit, j’ai pu découvrir une deuxième surprise, le traditionnel bronzage agricole. Lui aussi je l’avais pas vu passer depuis quelques années. On ne rigole pas au fond !

Vous me direz, c’est bien gentil tout ça, mais t’es sensée avancer un peu. Pourquoi t’as pas bougé ?

Parce que j’étais venue pour rencontrer des gens, et j’ai rencontré des gens. Tous formidables dans leur détermination, leur inventivité, leur droiture et leur engagement dans leurs projets respectifs. Des projets qui prennent du temps, de l’énergie, une vie entière pour certains, mais toujours avec le sourire malgré les difficultés de l’apprentissage.

Je montrerai pas plus de photos et je vous en dirai pas plus sur le fond du sujet pour l’instant parce que ça risque de vous gâcher la surprise (genre y’a des gens qui attendent un résultat de mon boulot…?) d’ici quelques mois. Y’a de quoi faire en post-prod entre les photos et les vidéos. Il me manque juste des journées de 48 heures.

Au final, après trois semaines à me sentir à la maison, j’ai finalement décroché ma corde à linge, pris une douche (ça commençait à sentir le fennec), rangé le van et rattaché solidement tous les petits bouts de trucs qui se baladent à l’intérieur, passé un coup de balayette, et j’suis repartie. Mais j’avais pas envie. Donc j’ai décidé de revenir. Je sais pas quand, peut-être dans un mois, un an, ou dix ans. Pas besoin de dire que la porte sera toujours ouverte; y’a pas de porte. Que des ouvertures.

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