Ne venez pas à Tadoussac !

Enfin, n’y venez pas en pensant rester juste une soirée pour le concert des Caribous Volants à l’auberge de jeunesse. Parce que vous ne resterez pas qu’une soirée. Déjà que les musiciens restent deux jours au lieu d’un, ben… On va rester aussi, tant qu’à faire. Tant pis pour la brume tenace qui bouche toute la vue sur la baie qu’on m’a vendue comme magnifique. 

J’avais dit pas d’auberge de jeunesse puisque je dors dans le van. Mais une petite soirée avec un bistrot et de la musique, ça se refuse pas. De toutes façons, j’irai parquer le van ailleurs pour dormir tranquille.

Je tombe sur un lieu à l’ambiance plus que sympa. Des gens partout sur la terrasse, de tous âges, qui discutent, boivent des coups ou grattent la guitare. Tous les accents possibles et imaginables. Des grands sourires, malgré le temps dégueulasse qui invite à se calfeutrer à l’intérieur. Une super soirée faite de rencontres, de blablablablas, de tout et de n’importe quoi. On est bien là. Tellement qu’après quelques bières et la fatigue de la route dans les pattes, le van reste sur le parking et je m’y écroule comme une masse, l’air de rien. Peut-être que personne n’a rien remarqué ? En tout cas, personne ne m’a rien dit. Si les gens s’en foutent, tant mieux, ça m’arrange.

Le lendemain, après avoir pris mon p’tit dèj comme la veille à côté du van, je m’encanaille et vais squatter la douche de l’auberge. Puis la vaisselle. Puis le wifi et le canapé. Apparemment, on m’assimile au groupe de français qui a joué la veille et repart le lendemain, la tranquillité est donc assurée. Impossible, par contre, de réserver un traversier pour la suite de mon voyage avant le surlendemain. Moi qui voulais partir rapido, c’est niqué.

Quitte à être dans « la plus belle baie du monde » et après avoir cherché avec peu de réussite les baleines aux jumelles pendant deux jours (à part un groupe de bélugas vus au loin, sous la pluie, depuis les Escoumins), c’est parti pour une sortie en kayak de mer avec des gens rencontrés à l’auberge. Et là, ça a pas loupé; un béluga passe à moins de dix mètres des kayaks, en pleine baie. Le pied !

Ca bastonne un peu et le vent est costaud. On se tue bien les bras pendant plusieurs heures, mais c’est que du kiff, des bonnes courbatures bien comme il faut.

De retour à l’auberge, un groupe de bénévoles me tombe dessus. Je sens les emmerdes arriver, mais en fait non; ils veulent voir l’aménagement de mon van. Remettons les choses dans leur contexte; depuis mon départ de Montréal, le Gros a une capacité sociale étrangement très développée. Un peu comme quand tu te promènes avec un gros chien mignon, les gens veulent voir, ils posent des questions, te parlent de leurs aménagements à eux (ou de leur chien à eux, dans l’autre cas, faut suivre)… Etrange pour mon premier aménagement, mais tous les gens qui l’ont vu ont l’air de l’avoir bien aimé. Même l’ébéniste spécialisé en ameublement sur mesure rencontré à l’auberge. C’est lui qui en a parlé au reste de la troupe. Troupe qui s’agrandit de jour en jour, et se recompose au fil des arrivées et des départs des gens. La magie de l’auberge, quoi. Celle-ci a quelque chose de particulier. Un espèce de je sais pas quoi, qui fait que… Ca donne envie de rester. De se poser, au moins quelques jours.

N’empêche que ! J’avais dit, je dors aux dunes et je prends mon p’tit dèj aux dunes. Les dunes de Tadoussac, très hautes, je les ai vues l’après midi pendant la sortie en kayak. Elles sont vertigineuses, le camping y est interdit mais c’est pas ça qui va m’empêcher d’y aller. On m’a indiqué un petit chemin pour accéder à leur sommet. A 1h du mat’, après une soirée sur la plage en compagnie de quelques gens de l’auberge qui m’ont embarquée, je récupère le van et fonce vers le sable des dunes, plus haut en dehors de Tadoussac. Ce qui devait arriver arriva, après un énième demi-tour fortuit sur le mauvais chemin pour éviter un bourbier, la bestiole refuse d’avancer. Trois désenssablages successifs ne le font avancer que de quelques centimètres. Je fume une clope en contemplant les dégats, et en sachant pertinemment que je vais passer la nuit là. Par contre, je suis pas rendue aux dunes. Et ça, ça fait chier.

Après une courte nuit de grommelage sur ma connassité notoire, c’est reparti pour le désenssablage, sans plus de réussite que la veille. Une voisine qui passait par là, sa tasse à café à la main, propose de m’emmener en ville et me dépose au garage. Aucune envie de payer la dépanneuse pour ça ! Crevarde un jour, crevarde tous les jours. On va y aller à la méthode Boulette; Salut, j’suis un peu dans la merde, est-ce que tu peux m’aider ?

Je vous entends d’ici vous foutre de ma gueule. N’empêche qu’après deux échecs, la troisième personne à qui je demande un coup de main dégaine son cellulaire et appelle son mari qui travaille au quai du traversier. Celui-ci rapplique en cinq minutes avec son pick up et une corde, me ramène à la zone de bêtise sinistreuse, et me sort de là en claquement de doigts. Je lui offre les deux bières qu’il me restait dans le van et le remercie autant que je peux. Il repart avec le sourire. Les Québécois sont formidables. Les gens, en fait et en général, sont formidables. Il suffit de tomber sur les bonnes personnes. Keep the smile, c’est contagieux.

J’avais dit petit dèj sur les dunes. Je suis donc allée prendre mon petit dèj sur les dunes. Têtue, bornée, et affamée. Là bas au moins, le parking c’est du caillou. Si malgré mes recommandations, vous décidez de venir à Tadoussac, faites comme les gens d’ici; venez pour les vacances et ne repartez pas. Ou alors, juste en hiver. Et moi ? Boarf, je suis encore en train de squatter le canapé de l’auberge, et la prise de courant, et le wifi… Vous n’avez rien vu.

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